Du haut de ses 29 ans, Oméga Fidisoa Randrinantenaina (dite Oméga) s’avança d’un air déterminé dans le gigantesque atelier de Made For A Woman, au milieu de ses 300 consœurs. Avec ce regard pétillant d’intelligence qu’elle seule avait le don, elle annonce la couleur en sortant une réplique assez inhabituelle pour une jeune femme de son âge : « ce n’est pas un rêve, mais un objectif », dit-elle en parlant de ce qu’elle voudrait faire plus tard.

Malgré l’amour inconditionnel de ses parents, Oméga a eu une enfance difficile. Faute de moyens, elle a dû arrêter — comme son frère aîné — l’école au collège, à l’instar de beaucoup d’autres filles de son école. Pour aider à subvenir aux besoins de la famille, sa mère l’initia alors au crochet à ses 16 ans. A elles deux, elles arrivaient à prendre assez de linge à coudre ou à crocheter à la maison, et à combler les fins de mois difficiles de toute la famille.

A Madagascar, une grande majorité de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et de nombreux parents se voient obligés d’introduire leurs enfants très jeunes, dans la vie active. « Avant je gardais de la rancœur envers mes parents, mais en grandissant j’ai fini par les comprendre », racontait Oméga. « J’ai compris à quel point la vie pouvait être parfois difficile. »

« De toute façon l’école ce n’était pas pour moi », se résigna-t-elle avec humour. Oméga était de celles, qui à l’instar d’Einstein, la réussite scolaire ne pouvait cerner toute l’étendue de l’intelligence. Probablement inconsciemment, sa condition lui a forgé une incroyable capacité à s’adapter et lui a permis de réussir là où peu l’aurait fait. En grandissant, la jeune fille devenue femme a acquis une indépendance rare à son âge.

Choisie par Made For A Woman

En 2018, Oméga entendit parler de Made For A Woman, des amies crocheteuses de sa mère, et tenta sa chance, car lassée des petits boulots qui lui permettaient à peine de joindre les deux bouts. En tant qu’entreprise sociale, la marque auditionne ses artisanes non seulement selon leur talent et leur motivation, mais également selon leur situation. Eileen Akbaraly elle-même (la fondatrice) fait visite aux femmes à leurs domiciles pour se faire une idée de leur quotidien difficile, et évaluer leurs besoins.

Comme Oméga, les femmes recueillies par Made For A Woman ont pour la plupart un passé difficile, parfois même violent. Sans éducation et marginalisées par la société, elles ont beaucoup plus de difficulté à trouver des emplois, ces derniers exigeant au minimum un baccalauréat.

En découvrant Oméga, l’entreprise a trouvé sa perle rare : « Oméga, c’est la plus intelligente ! », s’exclamait Eileen en parlant d’elle. Partant de chez elle tous les matin à sept heure pour rejoindre l’atelier, elle s’est vite démarquée par son talent et sa rigueur et fait partie des 22 heureuses élues travaillant toute l’année pour la marque. De plus, chez Made For A Woman, les artisanes sont en partie payées pour le nombre d’heures consacrées à chaque pièce. « J’aime quand il y a plus de boulot car cela veut dire qu’il y a plus d’argent à se faire », dit Oméga.

« En plus j’ai appris de nouvelles technique car avant je ne savais faire que du crochet, aujourd’hui je sais faire des tresses et des macramés ».

Changement de vie

Introduite par la marque au métier exigeant du luxe, Oméga confectionne aujourd’hui de véritables pièces d’œuvre d’art, dont la jet set méditerranéenne raffole. Perfectionniste et avisée, certaines pièces lui prennent parfois cinq jours à confectionner. Motivée comme nulle autre, il lui arrive même de ramener du travail chez elle et de veiller jusqu’à 22 heure du soir ! « Je le fais car je veux mériter la confiance que l’on m’accorde ».;;

Son travail acharné lui a complètement changé la vie. En moins de cinq ans passés chez Made For A Woman, Oméga a récolté les fruits de son dur labeur et a pu accumuler assez d’épargne et acheter un terrain en dehors de la ville. Pour son âge, il s’agit d’un exploit incroyable pour une jeune femme à Madagascar.

S’il y a peu de temps, sa mère avait du remord pour l’avoir fait travailler trop tôt, Oméga est aujourd’hui sa plus grande fierté. La petite fille qui un jour rêvait d’entrer dans la police nationale, a été promue en un temps record au rang de superviseure chez Made For A Woman, mais continue toujours à ramener des sacs à main à confectionner chez elle. « Encore un an à attendre et j’aurais ma propre maison … »

« Si j’ai un message à donner aux autres jeunes de mon âge, je leur dirais que le travail n’est pas un jeu… »

Made For A Woman : mode et luxe éthique et durable

Au même titre que les plus grandes marques de luxe, les créations de Made For A Woman ont récemment été mises à l’honneur durant la dernière « fashion week » de Milan, une grande première pour des articles 100% Made in Madagascar. Il s’agit d’une consécration de plus après le trophée « Best commitment » lors du 74e festival de Cannes, grâce à son documentaire « The Raphia journey ».

Par amour de la mode et de Madagascar, l’île où elle a grandi, Eileen Akbaraly a créé en 2019, Made For A Woman : une marque malgache d’accessoires de luxe en raphia et entièrement faits main. L’une des pièces présentées à la fashion week de Milan est une robe en raphia, rehaussée de soie italienne et de plus de 1000 pierres précieuses, pour un résultat spectaculaire. Elle a nécessité sept semaines de travail par près de 60 artisanes malgaches.

Design-és en Italie, les accessoires en showroom nécessitent plus de trois semaines pour les plus complexes. « Je veux que le monde connaisse la valeur de l’art manuel malgache, parce que c’est très rare de trouver cela ailleurs », explique Eileen.

En tant qu’entreprise sociale, la marque s’est engagée à donner leur chance à des femmes marginalisées par la société, en leur permettant de s’autonomiser dans un environnement équitable et épanouissant. En plus d’être payées à 81% au-dessus du salaire minimum malgache, chacune de ces femmes bénéficie de nombreux avantages tels que des formations en langue, des suivis médicaux, des majorations par production, …

Aujourd’hui, les consommateurs sont plus soucieux de l’origine de ce qu’ils achètent, et cherchent autant l’authenticité que le respect de l’environnement. Chaque création de Made For A Woman est estampillée des portraits de celles qui l’ont confectionnées (avec un code QR à scanner), pour réveiller une émotion chez les consommatrices à travers les histoires de ses courageuses artisanes. « Aujourd’hui les gens veulent acheter pour aider. Et le storytelling plaît beaucoup ». De plus, les produits sont pensés depuis la moindre fibre jusqu’à l’emballage et l’expédition. Le raphia, d’une qualité propre à Madagascar, est produit de façon équitable, le pigment est certifié « AZO free », et l’emballage est fait de papier « Antaimoro » en toute authenticité.

Totalement transparente dans le prix de ses articles, la marque assure à la fois les salaires de ses artisanes, l’achat de raphia éthique jusqu’à quatre fois le prix sur le marché, achète du matériel métallique en Italie pour assurer une durabilité, … Made For A Woman produit également uniquement sur commande dans une optique de « slow fashion », et paie des frais supplémentaires aux compagnies de navigation afin de compenser son empreinte carbone. Le reste des bénéfices est dédié à la communication et au marketing, aux frais de l’atelier (eau, électricité, cantine, etc.).

raphia-portrait omega made for a woman

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